Angélus Silésius est un mystique allemand du XVIIe siècle, de confession luthérienne.
Je voulais vous le présenter parce que sa conception de Dieu me semble de plus actuelles, et risque de vous satisfaire bien davantage que celle de l'Eglise...
Voici tout d'abord un commentaire sur son oeuvre (qui n'est pas de mon fait...):
Les Sentences d’Angélus Silésius sont souvent paradoxales. Elles se composent de deux énoncés qui se confrontent, s’opposent, s’annulent en apparence pour que surgisse une sagesse toujours surprenante. S’il procède ainsi, c’est que la vérité est paradoxale. Dieu, l’homme, la Sagesse, ne sont pas ce qu’ils semblent être. La vision commune est illusoire. L’homme est trompé par les sens et sa vision demeure dans les bornes d’une vision naïve du monde. Seul un renversement complet du regard, une « conversion », au sens étymologique du terme, peut le réveiller, le sortir de cette impasse et le faire accéder à la vision juste qui est celle qui nous mène au grand silence de la déité.
Le but d’Angelus Silésius est donc constamment de casser par le jeu des paradoxes les fausses évidences du dogme religieux. De le briser pour surprendre et réveiller. Il rectifie, dans le sens alchimique d’une purification, les idées que nous avons sur Dieu, l’espace, le temps, le chemin spirituel.
Par un étrange glissement de sens nous attribuons à Dieu des valeurs et des fonctionnements humains, nous projetons nous propres réactions. Nous poursuivons sans cesse des buts, alors nous imaginons que la divinité procède ainsi, sans comprendre la gratuité parfaite du monde qui se déploie « sans raison ».
Cela est évidemment en totale contradiction avec la théologie qui parle d’un Dieu qui crée le monde « par amour ». Un Dieu qui veut la perfection des êtres, les guide, les sermonne, les encourage au « bien ». Alors que le Dieu d’Angélus est sans « volonté », sans « désir », et manifeste l’univers sans nécessité, gratuitement.
Les êtres et les choses obéissent tous au principe de causalité, c’est-à-dire qu’ils sont tous le produit d’une cause. Seul l’Etre, le monde dans sa globalité est véritablement « sans raison ». Il surgit parce qu’il surgit.
Seuls les êtres et les choses qui ont une « forme » existent pour nous. Alors nous pensons que Dieu aussi est un tel être et qu’il possède une « existence » au sens où nous entendons ce terme. C’est pourquoi Angélus Silésius parle sans cesse du Dieu-Rien, du Dieu-Néant, qui n’existe pas mais qui « est ».
En fait nous sommes victime d’un processus d’objectivation qui nous voile la source de l’Être. Seul existence pour nous ce qui peut être mis à distance, extériorisé, et de ce fait transformé en objet de perception. Même les pensées et les émotions sont des objets et la distinction entre monde extérieur et monde intérieur n’a pas réellement de sens car ce sont en fait deux aspects d’un même processus d’objectivation.
C’est cette tendance naturelle de notre esprit qui nous amène à concevoir un Dieu-objet. Aussi immense et infini qu’il nous semble, il est finalement encore une représentation et de ce fait une illusion.
C’est dans ce sens que nous forgeons les idoles que rejette la Bible. Les idoles sont précisément ce que nous pouvons appréhender que ce soit des concepts ou bien des objets sensibles.
Or, précisément, Dieu est ce qui ne peut s’extérioriser, ce qui demeure caché, voilé, hors de portée de toute tentative d’objectivation. Pour le connaître dans sa réalité, il faut une conversion du regard, un retournement de conscience où l’esprit plonge en lui-même en direction de sa source. En fait, on ne peut connaître Dieu ; on peut seulement être Dieu.
C’est dans ce sens que Maître Eckhart et Angélus Silésius distinguent Dieu, ce qui peut encore faire l’objet d’un concept, et la Déité, ce qui demeure éternellement dans le secret.
Le pèlerinage de l’âme en quête de ce Dieu qui n’est « Rien » est lui aussi paradoxal.
Angélus Silésius procède à un renversement de l’ascèse traditionnelle qui prie un Dieu extérieur et s’imagine que cet « Etre Suprême », « infiniment bon », viendra exaucer ses demandes. Or Dieu n’a nul « volonté » au sens humain du terme et il ne sert à rien de le prier avec des paroles. Il est silence et c’est seulement si l’on fait silence en soi que l’on peut entendre sa parole qui coule sans cesse chaque instant de notre vie.
Notre auteur ne demande pas non plus de rejeter les désirs et les ambitions pour quelque obscure raison théologique, mais affirme simplement : « Pourquoi désirer, en toi sont le ciel, la terre et les milliers d’être angéliques ».
De même, il détruit d’une parole cette divinité fantôme qui punit les pêcheurs. Dieu ne punit personne. C’est le péché lui-même qui est « angoisse, douleur et mort ». Ce que nous appelons « péché » est donc simplement ce qui est source de souffrance et la vertu ce qui engendre la joie. D’ailleurs Dieu n’est pas vertueux. Là encore, croire en un Dieu juste et bon est une projection anthropomorphe. Il est l’essence, la cause de toute vertu, « la vertu flue de lui comme du soleil les rayons » et nul ne peut distinguer le soleil de sa lumière.
Angélus Silésius offre aussi une vision complètement intériorisée de l’histoire Sainte. Pour lui les événements qui se sont passés, il y a deux mille ans, présentent un intérêt dans la mesure où ils sont repris dans la perspective d’un chemin spirituel. « Le Christ pourrait bien naître des milliers de fois à Bethléem s’il ne naît en toi, ta perte est éternelle ».
De même le jardin des Oliviers et le Golgotha doivent être lu comme des images d’événements intérieurs qu’il nous faut vivre. L’Evangile n’est plus une simple histoire (même très belle) appartenant au passé, mais il s’actualise. Il devient une série d’étapes sur le chemin que doit vivre le chrétien et il prend ainsi tout son sens. C’était d’ailleurs déjà la perspective de Taule qui considérait par exemple les béatitudes comme les phases du processus d’émergence du Dieu en nous.
En fait, le seul but consiste à devenir un avec la divinité, d’être une unique lumière avec elle, car Dieu et toutes ses bénédictions sont contenues dans le cœur de l’homme et « la vraie prière est de devenir semblable à Dieu ». Et pour « devenir semblable » à Dieu », pour s’absorber en lui, il n’est qu’un seul chemin : devenir un « Rien » à son image. C’est-à-dire « mourir avant de mourir », ne rien vouloir, ne rien désirer, pour être pure transparence. Alors on devient semblable à celui qui ne veut rien, ne désire rien, qui est un « éternel repos ».
Pour trouver ce « Rien qui est Tout » il est donc simplement nécessaire d’évacuer le « moi », ce que les anciens nommaient fort justement la « volonté propre » qui distingue « le mien du tien », qui « cloisonne », qui veut s’affirmer, qui se vante de ce qu’il y a de bon en elle, et tourne le dos à la « Présence ».
Elle est cause de tout mal, de toutes les guerres, de tous les conflits car elle est à l’origine de l’opposition entre le « moi » et l’autre.
Or l’essence de la volonté propre est de vouloir « tantôt ceci, tantôt cela », d’aimer et de ne pas aiimer, d’être attiré par certaines choses et repoussé par d’autres. Elle n’accepte pas le monde tel qu’il est. Alors que le pèlerin devrait s’abandonner à la « volonté divine », c’est-à-dire, comme Dieu ne veut rien, abandonner, tout vouloir, accepter pleinement et entièrement les événements comme ils viennent. C’est pour cela que notre auteur affirme que les œuvres des Saints se résument à une seule : s’abandonner à Dieu, car pour le regard déifié, la vie est toujours parfaite.
Finalement, ce n’est pas Angélus Silésius qui est paradoxal, mais l’expérience mystique de Dieu.
Elle renverse la perspective commune, « habituelle », que ce soi celle de la religion institutionnelle ou celle du « matérialisme » et face à cette « vision » c’est tout le mode ordinaire d’appréhension du monde qui apparaît « naïf » et dénué de sens.