C'est clair que s'étonner est certainement un don précieux. Ne pas considérer le monde comme allant de soi, et remettre en question ses fondements, même les plus absurdes.
Ce n'est pas une attitude très reposante par contre, elle peut être assez angoissante, étant donné qu'on s'aperçoit vite que nos repères sont fiables, et que nous n'avons rien d'absolu à quoi nous raccrocher.
C'est cette quête d'absolu sur lequel poser les pieds qui meut la plupart des religieux, ésotériques et autres chercheurs spirituels. Y a-t-il seulement un absolu? Les valeurs comme le Bien et le Mal, le Beau, le Sacré, sont-ils absolus? Ou relatifs à l'espèce humaine, relatif à une civilisation donnée?
L'explication de Gaarder est très claire, mais un peu caricaturale. Tous les enfants ne montrent pas une capacité de s'étonner extraordinaire: je pense que dès 3 ou 4 ans, cette capacité est déjà largement moindre. Et je trouve d'ailleurs qui'l y a une différence entre l'étonnement de l'enfant qui voit quelque chose pour la première fois, et l'émerveillement d'un adulte qui perçoit une dimension qu'il n'avait jamais appréhendée auparavant dans cette même chose, que cette dimension soit sa beauté, ou son étrangeté, ou une autre.
Quant aux philosophes, là aussi. si l'attitude de départ des philosophes est peut-être de remettre en question les choses qui vont de soi, il me semble (mais je n'en ai pas lu assez pour dire) que la plupart se perdent sur des points de détails en perdant de vue l'essentiel. C'est peut-être aussi qu'ils l'expriment différemment. Mais finalement, je ne me retrouve vraiment que dans des ouvrages de vulgarisation qui sont obligés de revenir aux questions essentielles, tandis que les philosophes même me semblent plus perdus dans des histoires de courants, de modes, de tendances, d'écoles.
La dichotomie entre "les gens en haut des poils du lapin blanc" et les "gens au fond de la fourrure" est un peu forte: je pense que beaucoup se situent un peu entre les deux. Et ce n'est pas plus mal! Se cantonner à un endroit représente une fuite de l'autre extrême. J'ai beaucoup utilisé mes réflexions pour fuir mon quotidien par exemple.
Cela me fait penser à une passage d'"une vie bouleversée" d'Etty Hillesum, dont Kamui nous parlera sûrement:
"Pourtant, il faut garder contact avec le monde réel, le monde actuel, tâcher d'y définir sa place. On n'a pas le droit de vivre avec les seules valeurs éternelles; ce serait une nouvelle forme de politique de l'autruche. Vivre totalement au-dehors comme au-dedans, ne rien sacrifier de la réalité extérieure à la vie intérieure, pas plus que l'inverse, voilà une tâche exaltante".